jeudi 17 mars 2011

L'apocalypse nucléaire


Le "dôme de la bombe A" que j'ai photographié ici de nuit, en sépia, est quasiment le seul vestige à deux kilomètres à la ronde de la bombe d'Hiroshima. C'est le symbole de la ville, sa sentinelle de mémoire.


Il servait en fait, avant d'être détruit, de hall d’exposition et de promotion industrielle pour les produits de la préfecture d’Hiroshima. Sa construction avait été achevée en 1915.

Comme Auschwitz, Hiroshima est un haut-lieu de mémoire qui rappelle cruellement la barbarie dont l'être humain est capable. Chaque année, 1, 500 000 touristes visitent Hiroshima, dont 230 000 états-uniens.

Vue du dôme et des alentours après l'explosion.


Depuis, la ville a été rebâtie et si ce n'est les nombreuses statues et stèles commémoratives, on ne soupçonne pas l'horreur absolue qui s'est déroulée ici même, il y a à peine une soixantaine d'année. Le béton et les commerces ont recouvert cet immense cimetière à ciel ouvert qu'a été le centre d'Hiroshima. La vie a repris ses droits.


En 1966, après une longue polémique, la ville d’Hiroshima a finalement choisi de conserver le "dôme de la bombe A" pour mémoire. Après la mise en œuvre de plusieurs projets de préservation, l’UNESCO l'ajoutait au Patrimoine Mondial comme monument témoin de la tragédie humaine vécue à l’occasion de l’explosion de la première bombe atomique de l’histoire. Il se veut aussi un monument de paix universelle plaidant pour l’abolition des armes nucléaires et la réalisation d’un monde de paix.

(maquette) La bombe atomique a explosé à un peu moins de 600 mètres d’altitude afin de faire le plus de victimes possibles, provoquant instantanément un flash intense et aveuglant. La boule qui s’est créé dans le ciel a atteint les 280 mètres de diamètre en une seconde, dégageant une chaleur d’un million de degrés celsius en son centre, et de plus de 3000 degrés au sol. Quasiment tous les édifices à 2 kilomètres ont été réduits en cendres. On estime qu’environ 140 000 personnes sont mortes des effets de cette explosion et de ses retombées avant la fin 1945. Aujourd'hui, on estime que ce sont environ 210 000 personnes qui sont mortes, soit instantanément, voire dans les jours qui ont suivi l'explosion ou des années plus tard, de cancers et autres complications résultant de leur exposition. Ce décompte n'est hélas toujours pas fini...

Photo prise par Seizo Yamada à 6,5 km de l’hypocentre, entre deux et trois minutes après l’explosion.

Le Mémorial pour la Paix est un très grand musée d'où proviennent la plupart des photos que je présente dans cet article.


Les scolaires, accompagnés de leurs professeurs, viennent chaque année par milliers de tout le Japon pour visiter ce musée.


Scène de désolation : des survivants livrés à eux-mêmes dans les jours qui ont suivi l'explosion

Le Mémorial de la Paix a obtenu plus de 135 photographies aériennes des archives nationales états-uniennes, dont les deux exposées ci-dessus. Celle de gauche a été prise avant de lâcher la bombe, celle de droite peu de temps après.

Ici, seul a résisté le torii, cette porte qui délimite l'entrée des temples shinto (la religion originelle du Japon) et en principe qui marque la séparation du monde sacré d'avec le profane. On voit ici que l'énergie atomique (pas plus qu'elle ne fait de distinction entre le soldat, l'enfant ou le foetus) ne rentre pas dans ce genre de considérations métaphysiques et a frappé indistinctement de chaque côté du torii....


Montre ayant appartenu à Kengo Nikawa. Il avait 59 ans et se rendait au centre-ville quand la bombe a explosé. Exposé aux radiations (il se trouvait à 1640 mètres de l’hypocentre), il a souffert de graves brulures à l’épaule droite, au dos et à la tête. Il est mort le 22 août. Son fils a fait don au Mémorial de la montre que son père portait ce jour-là et qui s’est arrêtée à l’instant précis de l’explosion, 8h15.

Cette petite fille s’appelait Tomiko Umekita, elle était collégienne. Elle était sur Hiroshima au moment de l’explosion. Ses parents qui habitaient à l’extérieur d’Hiroshima , l’ont cherchée sans relâche pendant deux jours. Le père a appris qu’on l’avait évacuée sur la ville de Koi. Il s’y est rendu immédiatement mais arrivera alors qu'elle venait de rendre son dernier souffle…

C'est horrible à dire mais ceux qui sont morts sur le coup, comme cet enfant, peuvent s'estimer chanceux. Les souffrances qui attendaient les survivants se trouvant dans un rayon proche de l'hypocentre ont été confrontés à des visions d’horreur et souvent à des souffrances inouïes. Les hibakusha (c’est ainsi qu’on appelle les survivants des deux bombes atomiques, qui ont été directement exposés aux radiations) ont coutume de dire simplement « j’ai rencontré la bombe A ». Ils utilisent cette expression parce que "ce" qu’ils ont rencontré défie toute description : un instant de destruction massive, l’irruption implacable de la mort, des corps atrocement blessés, et la souffrance d’assister impuissant à la lente agonie des membres de sa famille, de ses amis, de ses voisins. Lorsqu'ils ont rouvert les yeux, c'était pour découvrir que leur monde avait sombré dans un enfer de flammes, pulvérisé, réduit en cendre, plongé dans un nuage opaque. Cela n'étant encore jamais arrivé dans l'histoire de l'humanité, ils étaient en outre dans l'incapacité absolue de comprendre ce qui leur arrivait, ni de soupçonner le mal invisible qui continuerait à les ronger, parfois des décennies plus tard...

Les dessins réalisés par les rescapés et exposés dans le musée ont souvent permis d'exorciser des souffrances psychologiques indicibles.


Le crime contre l'humanité que constituent Hiroshima et Nagasaki a inspiré de nombreux auteurs, réalisateurs, compositeurs, etc.


Photo prise par Yoshito Matsushige à 11h00, le matin du 6 août, à 2270 mètres de l’hypocentre. Elle représente des survivants, souffrant de brûlures et autres blessures qu'ils semblent se montrer les uns les autres, hagards.

Le musée a réalisé avec des manequins de cire des reconstitutions d'après les témoignages de l'époque.

Sous l'effet des radiations et du souffle de l'explosion la chair fondait littéralement comme le montre ce mannequin.

Le nombre incalculable de victimes a empêché très souvent leur prise en charge et la délivrance des soins adéquats dans les premiers jours du drame.

Photo prise par Masami Onuka, d’un homme présentant des brûlures sur tout le corps.

Les Etats-Unis, sitôt la rédition du Japon obtenue, ont envoyé des équipes médicales, à la fois pour soigner les blessés et pouvoir observer scientifiquement les effets de leur bombe. Ils suivront certains patients sur des années.


Même la pierre du visage des statues a commencé à fondre...


Yoshio Hamada était militaire à Hiroshima. Il se trouvait dans sa caserne au moment de l’explosion, à 900 mètres de l’hypocentre. Son bras gauche reposait alors sur le rebord d’une fenêtre et sa main a donc été exposée aux puissants rayons thermiques. Il a rapporté avoir ressenti comme si ses doigts étaient en feu. Ses ongles ont été gravement brûlés et sa peau pendait en lambeaux. Les ongles de son annulaire et de son majeur sont devenus complètement noirs et ont poussé difformes.

Femme gravement brûlée


Aussi dures que soient ces images, les Japonais n'hésitent pas à les montrer à leurs enfants afin de les sensibiliser le plus tôt possible à l'horreur de la guerre et des armes nucléaires. En France, on nous apprend à être fiers de notre arsenal. Nous sommes aussi la 2ème puissance au monde pour ce qui est du nucléaire civil.


Photo prise par Hadjime Myatake le 12 août, à l’hôpital de la croix-rouge japonaise. Cette étudiante se trouvait à 1500 mètres de l’hypocentre.

Collégienne gravement brûlée.

Bouddha en métal victime de la bombe...


Quand on voit l'état des bouteilles en verre, on imagine les ravages que la bombe a pu laisser dans les corps.


Les pièces ont littéralement fondues pour former un bloc.

Cet homme se trouvait à moins de 1 000 mètres de l’hypocentre, dans une maison en bois. Le 1er septembre, des taches mauves dues à une hémorragie sous-cutanée sont apparues sur son visage et son corps. Il a perdu connaissance le deux septembre et il est mort le lendemain, soit le jour où cette photo a été prise.

Photo prise le 28 août par Gonichi Kimura. Soldat avec un ulcère sur la langue.

Photo prise par l’armée états-unienne le 13 novembre 1945. Femme avec des chéloïdes (http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A9lo%C3%AFde) sur le dos et les bras. Les chéloïdes sont apparues sur les visages, les dos, la jointure des bras et des jambes des victimes, et sur d’autres parties du corps. Elles ont poussé de façon disgracieuse, handicapant les mouvement des bras et des jambes et occasionnant de terribles souffrances physiques et psychologiques.

1966, vingt-et-un ans après. Œil d’un hibakusha (survivant exposé aux radiations) qui a développé une cataracte à chaque œil. Il se trouvait à 820 mètres de l’hypocentre, le 6 août 1945. Toutes ces images, les Japonais les connaissent. Elles donnent à n'en pas douter une résonance particulière au drame que vit aujourd'hui le pays du soleil levant, provoqué par le nucléaire civil cette fois-ci.

Ces lambeaux de chairs sont des chéloïdes (http://fr.wikipedia.org/wiki/Cheloide) qui ont été retirées à des enfants de 7 à 12 ans.

L'hôpital militaire a été complètement détruit par l'explosion. Un centre de secours a du être improvisé un peu plus loin (7 août 1945)


Haruo Ikegame avait 20 ans, en août 1945. 30 ans plus tard, Il a réalisé ce dessin de la vision de cauchemar qui le hantait depuis lors : « Ces gens s’échappaient en direction de Yoshijima. Ils formaient une longue file de personnes qui fuyaient; ils suppliaient pour qu’on leur donne de l’eau, les bras tendus en avant. Sur le côté exposé au flash, leurs vêtements étaient déchirés, leurs corps brûlés vifs et purulents, leurs peaux tombaient en lambeaux. »

Sur un écran, des photos des victimes défilent incessamment. Au Japon, on continue à mourir des conséquences d'Hiroshima et les photos des nouvelles victimes vont rejoindre celles des morts plus anciens.


RIP


Derrière le dôme se trouve le parc du mémorial où se dresse le cénotaphe en forme d’arc de l’architecte Tange Kenzo, abritant les noms de 176 964 morts, victimes de la bombe A, consignés dans 59 volumes, reposant dans un cercueil de pierre. Le cénotaphe porte l’épitaphe suivante : « reposez en paix car nous ne laisserons pas se reproduire la tragédie ». Des stèles dans plusieurs langues expliquent que « l’esprit d’Hiroshima est d’endurer les douleurs du passé, de vaincre la haine et de prier pour la réalisation d’une véritable paix mondiale. »